Oxfam-Magasins du Monde, « Les femmes au cœur du commerce équitable ».
Derrière chaque produit du commerce équitable, il y a des visages, des histoires, souvent des femmes. Le 5 novembre, lors d’un vernissage à Saint-Josse, Oxfam-Magasins du monde présentera son exposition photo, « Les femmes au cœur du commerce équitable ». À travers une série des portraits, l’organisation met en lumière plusieurs femmes et leur rôle central dans le Commerce Équitable. Lors d’un entretien avec le Trade for Development Centre, Claire Mathot et Simon Laffineur nous expliquent cette approche liant art et réalités sociales
Une campagne qui recentre le commerce équitable sur le genre
L’exposition « Les femmes au cœur du commerce équitable » est le résultat d’une approche transversale cherchant à lier genre et pratiques artisanales équitables. La campagne est née d’une volonté de remettre en avant la question du genre, dans un contexte mondial où les préoccupations féministes et les droits des femmes sont en déclin. Claire Mathot nous raconte : “On observe un backlash. Dans le contexte mondial et belge actuel, on observe un recul ou une mise en danger des droits des femmes sur de nombreuses thématiques, pas seulement sur les thématiques de commerce ou de travail. Et évidemment, c’est quelque chose qui, chez Oxfam-Magasins du monde, nous inquiète.”
La création de cette campagne s’appuie également sur un constat interne : la dernière campagne portant sur les thématiques de genre dans le commerce équitable remonte à 2014. Pourtant, la grande majorité des personnes dans le milieu ou qui s’y intéressent sont des femmes. Par exemple, chez Oxfam-Magasins du monde, les femmes représentent 90% des bénévoles adultes et 65% des salariées. En moyenne, dans les organisations partenaires d’artisanat équitable, les femmes représentent 70% à 80% du personnel. Il est alors apparu essentiel pour OMDM de réactiver ce travail :
“Que ce soit dans notre organisation, chez nos organisations partenaires dans les pays du Sud, parmi nos bénévoles, et probablement aussi parmi nos clientes et clients – même si nous n’avons pas toujours de chiffres précis-, les femmes sont majoritaires à chaque étape, de la production à la commercialisation, jusqu’à la mobilisation pour faire vivre le mouvement” Claire Mathot
La présence massive des femmes est donc indéniable. L’ambition d’Oxfam-Magasins du monde est claire : susciter une prise de conscience sur l’importance du rôle des femmes à chaque étape de la chaîne de valeur de commerce équitable. Le mouvement du CE s’inscrit dans une démarche d’empouvoirement, et les femmes y sont très nombreuses, particulièrement dans l’artisanat équitable. Ainsi, une exposition photo est une manière de mettre en avant leurs différents métiers, mais aussi les points communs qui existent entre ces femmes.
Penser l’impact autrement : l’art comme outil de sensibilisation
De 2025 à 2026, cette exposition offrira un outil artistique et pédagogique durable. Attirant bénévoles, passionnés de photographie, amoureux de l’art et autres profils, ce format de partage et de sensibilisation sur le moyen-long terme cherche à attirer un public varié :
« On a déjà fait parfois plein d’expos, mais en général les expos sont plutôt didactiques, avec des roll-up, alors qu’avec celle-ci, on veut des photos faites par des photographes pro, avec un regard, de belles photos, bien imprimées en très grand format. Et donc potentiellement, on va aussi attirer des gens qui vont peut-être venir juste pour la photographie, et derrière on fera passer les messages. » Claire Mathot
Bien plus qu’une exposition temporaire, c’est un véritable outil pédagogique que les bénévoles peuvent s’approprier. Cette approche permettrait de faire perdurer cette exposition pendant encore plusieurs années. Comme l’explique Simon Laffineur : « Parfois on investit beaucoup de temps et d’énergie pour construire tout un dispositif, et finalement cela ne vit qu’un an, le temps d’une campagne. Souvent, nos bénévoles n’ont même pas eu le temps de vraiment s’approprier ce qui est proposé. Avec l’exposition, l’idée est différente. L’ambition, c’est qu’elle circule encore deux ou trois ans, voire plus. Certaines de nos expositions et de nos outils pédagogiques passés ont déjà eu ce type de long parcours. »
L’exposition photo est caractérisée par son itinérance. Son installation dans différents espaces au sein des provinces de la Fédération Wallonie-Bruxelles, permet de mobiliser un public diversifié comme Simon l’explique : « L’exposition tourne bien pour des centres culturels, il peut aussi y avoir des lieux qui s’adressent directement à un certain public. Par exemple, des hôpitaux, des entreprises peuvent devenir des lieux d’exposition, ou des centres particuliers qui, du coup, attireraient vraiment un public spécifique. »
Plusieurs activités viendront la compléter : visites guidées réalisées par les bénévoles, jeu sérieux sur les différentes réalités vécues par les hommes et les femmes en Belgique, podcasts… L’exposition photo est donc une proposition complète de sensibilisation, qui par ces multiples activités mobilisera adultes et jeunes autour d’un thème commun : la place des femmes dans le commerce équitable.
Un regard croisé pour dépasser les clichés
L’exposition photographique itinérante, ancrée au plus près des territoires, est également pensée pour sortir d’un certain nombre de clichés. Après un travail réflexif sur la manière de mener ses campagnes, OMDM a fait le choix de prendre à contre-pied les clichés associés aux portraits de femmes. Ici, le risque est de reproduire un cliché culturel, une femme pratiquant une activité artisanale comme une activité typique, traditionnelle et courante :
« Certaines photos de l’expo montrent l’image d’une femme indienne en sari en train de fabriquer un bijou. Ce genre de photos, si l’on ne montre que ça, ça fait très vite cliché. Pour un public belge la femme indienne en sari, c’est exotique, c’est orientalisant, et d’autre part, cela nous donne une représentation de femme qui fait de l’artisanat, dans le sens « si tu es une femme, voici un métier pour toi ». Dans l’expo, on veut montrer autre chose… » Simon Laffineur
Ces biais, courants dans les campagnes de sensibilisation des ONG, peut contribuer à perpétuer un imaginaire du commerce équitable qui essentialise les femmes et leurs rôles. Or, avec cette exposition, OMDM s’attache à renverser ce cliché en adoptant une posture critique sur leur propre campagne :
« Certains peuvent estimer qu’il existe encore une forme de colonialisme dans le marketing du commerce équitable lorsqu’on décide de montrer les producteurs, productrices, artisans, artisanes qui fabriquent les produits. Mais le problème n’est pas forcément lié à leur activité en soi, plutôt au regard que le public porte sur cette activité et au contexte postcolonial plus large de nos sociétés. Il me semble que c’est là que réside le cliché. Nous tentons en tous cas d’interroger cela dans l’expo, notamment en montrant les autres métiers réalisés par les femmes dans ce secteur ». Simon Laffineur
Pour réaliser ce projet, Oxfam-Magasins du Monde a opté pour une vision créative à deux regards, en choisissant deux photographes aux trajectoires et perspectives différentes. D’abord, Marjorie Goffart-Aulakh est apparue comme une évidence par son double-ancrage belgo-indien. Son travail photographique met en évidence des scènes de vie quotidiennes et retranscrit les réalités sociales sans les caricaturer. Afin de capturer le portrait de membres des organisations partenaires indiennes, Satyaki Ghosh a été choisi pour représenter au mieux les réalités locales en réalisant des photographies dans les organisations partenaire de OMDM en Inde. Leur collaboration offre à l’exposition un regard croisé, riche de perspectives culturelles diversifiées :
“On ressent vraiment la patte de chacun des deux photographes : chacun a son style, ce qui est très intéressant. Cela constitue un avantage, mais représente aussi un défi pour assurer la cohérence de l’exposition. Notre idée, c’est de créer un dialogue entre les photos, et nous y parvenons clairement : on voit se former de véritables binômes ou trinômes entre les différents portraits. C’est vraiment super intéressant”. Claire Mathot
L’exposition est composée d’une vingtaine de portraits de femmes. Parmi elles, on compte des images de groupes de travailleuses, pour présenter la diversité des profils présents au cœur de la chaîne de valeur de commerce équitable. Elles permettent de raconter une histoire plus large permettant au public de s’y identifier :
« On voulait des portraits de groupes, pour représenter les centaines de milliers de femmes qui travaillent dans ce cadre. C’est intéressant, parce que ça permet aussi de faire un dialogue différent. Il y a un portrait avec une mère et sa fille, et donc, il y a une question de transmission qu’on peut mettre en lien avec notre public jeune et les profs dans le secondaire. » Claire Mathot
Ainsi, l’exposition « Les femmes au cœur du commerce équitable » est une expérience complète qui : « Pourra se visiter de deux manières différentes. Soit regarder vraiment juste 20 portraits, et peut-être lire le dossier informatif les accompagnants, soit organiser une visite guidée, avec des débats en groupe, poser des questions, recevoir des informations des chiffres, plein de choses. » Claire Mathot
Durant la Semaine du Commerce Équitable, Oxfam- Magasins du Monde mise sur une approche artistique pour sensibiliser les citoyens. Ces espaces de découverte permettent de redonner une visibilité aux femmes et intiment de nouvelles réflexions sur leur émancipation et sur les défis liés au genre dans nos sociétés.
Propos recueillis par Lola Jojot et Léna Casado