Tournai lance la Semaine du commerce équitable : le scandale du lait en poudre et l’exposition « ça va pas supermarché »

3 octobre 2025In Articles, Local

Pour sa douzième participation à la Semaine du commerce équitable, Tournai a lancé les festivités avec une soirée d’inauguration qui ne cache rien. Entre l’exposition Oxfam « Ça va pas supermarché » et le documentaire « Traînée de poudre », la Maison Internationale de Tournai a mis en lumière un paradoxe troublant : pendant que les producteurs de lait belges subissent des conditions de travail dramatiques, l’Europe exporte massivement du lait en poudre qui détruit la production africaine. Un système où personne ne gagne, sauf les industriels.

Jean-Félix Dressen, responsable de la Maison Internationale de Tournai et Delphine Delaunois, échevine de la jeunesse, de la cohésion sociale et de l’égalité des chances, ont ouvert la soirée en expliquant l’engagement de Tournai pour le commerce équitable. Il s’agit en effet de leur douzième participation à la Semaine du commerce équitable.

Delphine Delaunois (échevine de la jeunesse, de la cohésion sociale et de l’égalité des chances), Jean-Félix Dressen (responsable de la Maison Internationale de Tournai) et Françoise (bénévole chez Oxfam)

 

« La ville s’est engagée depuis plusieurs années durant la Semaine du commerce équitable. On s’engage concrètement afin d’avoir un impact sur les consommateurs, et surtout sur les générations futures. C’est un vrai travail de mise en réseau et de collaboration ! », Delphine Delaunois.

 

L’exposition Oxfam « Ça va pas supermarché », présentée ensuite par Françoise, bénévole chez Oxfam Magasin du Monde, annonçait parfaitement le ton de la soirée. Organisée comme les rayons d’un magasin, elle dévoile les vices cachés derrière tous les produits des grandes surfaces.

Françoise insiste sur l’importance de la prise de responsabilité à tous les niveaux de la chaîne alimentaire afin de s’assurer des conditions de travail. L’objectif de l’exposition est, avant tout, d’inviter à la prise de conscience dans nos habitudes de consommation, et donc à l’action.

 

 

 

 

 

 

 

 « Trainée de poudre », un système qui broie les producteurs

Pour poursuivre la soirée, le documentaire « Traînée de poudre » est présenté en présence d’un de ses réalisateurs, Patrick Remacle. Le film se concentre sur la production de lait, mais plus particulièrement sur la problématique de son exportation sous forme de poudre. Au fil du reportage s’assemblent ce qui ressemblaient à des problèmes disparates, sans lien apparent, en un vaste puzzle où chaque pièce symbolise les différentes conséquences de la mondialisation.

Dans un premier temps se dévoile la réalité du métier de producteur de lait ici, en Belgique. Particulièrement touché par le taux de suicide, ce métier se pratique 365 jours par an, avec un rythme effréné, un rythme qui laisse chaque producteur le nez dans le guidon, sans opportunité de construire une solidarité entre les différentes filières agricoles afin de changer le système qui ne profitent à personne sinon aux industriels.

On comprend rapidement qu’en plus des conditions de travail intenables s’ajoute un non-sens : le choix de favoriser l’exportation de ce lait produit sous forme de poudre, principalement en Afrique de l’Ouest. Cette exportation, explique Erwyn Schöpges, fondateur de la Faircoop, a apporté une énorme plus-value, plus-value qui ne s’est jamais reflété sur le compte en banque des producteurs. Ce choix est parti de la constatation d’un surplus au niveau de la production, faisant baisser les prix. Afin de valoriser ce surplus dont on ne savait que faire en Europe, le lait est alors transformé en poudre et réengraissé en huile végétale, souvent à l’huile de palme, et puis exporté, afin de répondre à la demande étrangère en continuelle augmentation. Dans ce processus de transformation commence le jeu des consultants et sous-consultants, un système qui permet à chacun de se dédouaner et de mettre la faute sur un autre maillon de la chaîne.

Les producteurs africains : un marché agressé

Les problèmes causés par cette exportation sont multiples. On l’a vu, elle tue la production belge. Mais le système tue également la production locale en Afrique. En effet, la production locale ne peut satisfaire la demande des consommateurs. Le lait en poudre est moins cher que le lait local. Il s’agit du libre marché, nous dira-t-on, mais l’analyse d’Ibrahim Diallo, président de l’UMPL-B (union nationale des mini-laiteries et producteurs du lait local du Burkina), est sans appel : « si c’était leur marché qu’on avait agressé, ils ne diraient pas ça ! ». Il ne faut pas longtemps pour faire le lien entre cette situation et l’immigration, explique-t-il également : il n’y a plus de quoi vivre décemment ici, aucun moyen venant du pouvoir politique n’est mis en place pour accompagner les producteurs, alors ils s’en vont. Pourtant avec une bonne production de lait, c’est tout un cercle vertueux qui peut s’installer : les moyens de bien se nourrir, d’éduquer les enfants et qu’ils deviennent, comme l’explique Ibrahim, « les hommes de demain », conscients de la situation et politisés.

D’autre part, la qualité de ce lait est très médiocre, et sa consommation n’est pas recommandé. En réalité, il ne peut même pas être commercialisé en Europe. « On n’est pas la poubelle des pays industrialisés », rétorque Ndao Momar, président de l’association des consommateurs du Sénégal. Une autre facette de la problématique, c’est le productivisme qui pousse les producteurs à faire produire à leurs vaches jusqu’à 60L de lait par jour. Ces vaches ne font pas de vieux os.

Jean-Yves Hansart, de la ceinture alimentaire Tournaisis, Jean-Félix Dressen, Patrick Remacle et Christine Delcroix de la Ferme de la Warde.

Le débat qui a suivi a pu mettre en lumière à quel point toute une série de problèmes sont en réalité liés, noués entre eux. Le réalisateur l’explique : en imposant de telles conditions de vie et de travail, les pouvoirs politiques conduisent les populations africaines à partir, ou à se radicaliser. Mais ça coince : sans le lait en poudre à bas prix, comment nourrir la population ? Car avec une trop grande hausse de prix, c’est la révolution assurée. On pourrait penser que la production ne peut se passer de l’importation, mais le documentaire démontre rapidement que c’est également et surtout à cause de l’importation qu’il n’y a pas assez de production locale.

Des solutions locales à Tournai

La ceinture alimentaire de Tournaisis a également pris la parole afin d’expliquer son projet : valoriser les produits bruts plutôt que l’exportation, afin que la valeur ajoutée revienne aux producteurs. Le message est clair : un travail de sensibilisation de la population est indispensable.  Chrisitne, de la ferme de la Warde, nous raconte son quotidien, depuis les longues journées de travail, l’incertitude du prix auquel le lait sera acheté par la laiterie, mais aussi la solidarité entre producteurs bio. Elle rappelle qu’en plus d’exporter le lait au détriment des producteurs, la Belgique importe également énormément pour les produits laitiers industriels. En conclusion, Christine explique également la loi du silence régnant dans ce secteur hautement compétitif et dès lors extrêmement compliqué à investiguer.