Sensibiliser, tout un art…

20 mai 2021In Articles, Nouvelles

« Le voyage du kawa », « Les Frères Trade », « Turista, la démangeaison du Voyageur »… Rudy Goddin, comédien et directeur artistique du PotauFeu Théâtre, questionne les enjeux du commerce équitable à travers des spectacles mêlant réflexion et dérision. À l’occasion de la semaine du commerce équitable, il propose une série de 12 capsules vidéo destinée au Net. (D)étonnant !

Sensibilisation… « Nom féminin. 1. Action de sensibiliser (une émulsion photographique). 2. Modification de l’organisme, qui le rend sensible à une agression. 3. Fait de susciter l’intérêt d’une personne, d’un groupe. » Pour comprendre la démarche de sensibilisation au commerce équitable opérée depuis de nombreuses années par l’artiste pluridisciplinaire Rudy Goddin auprès des publics, il convient de se pencher sur la deuxième définition du Robert et de faire un bond quelques années en arrière. En 2006.

C'est le Pérou

Rudy Goddin portret

À l’époque, le comédien est à un tournant de sa vie. L’émission télévisée à laquelle il participe prend fin. Les spectacles de théâtre de rue qu’on lui propose, il a l’impression d’en avoir fait le tour. Les ateliers qu’il animait ne l’animent plus. Le moment lui semble venu d’appuyer sur le bouton « pause ». Voire « reset ». Et de larguer les amarres ! « J’avais besoin de faire le point, de changer d’air. Et comme rien ni personne ne me retenait vraiment ici, je décide d’embarquer sur un cargo en direction de la République Dominicaine, puis du Venezuela, du Brésil, du Pérou. Je vivais avec deux fois rien dans des endroits dénués de confort, mais ce voyage me nourrissait énormément. Là-bas, j’ai (re)trouvé la simplicité. Je suis allé à la rencontre des gens et de leurs communautés. J’ai découvert et expérimenté d’autres modes de vie. Et puis, j’ai fait la connaissance de Karel, celle qui allait devenir ma femme et la mère de mes trois enfants. »

Au bout de 7 mois, Rudy Goddin rentre en Europe. Il s’installe à Sainte-Luce, dans les Alpes, sur le conseil de Français croisés durant son périple. « Ils m’avaient renseigné une ferme bio, où l’on pratiquait l’écoconstruction et la permaculture. Contre de menus travaux, j’y étais logé et nourri. Cela me permettait de gagner un peu d’argent pour préparer l’arrivée de Karel. C’était un lieu de transition, dans tous les sens du terme. Le voyageur/découvreur/rencontreur que j’étais devenu n’était plus prêt à recommencer sa vie d’avant : la course aux contrats, la multiplication des activités, le consumérisme ambiant… Le théâtre, en revanche, était toujours à l’ordre du jour. Connaissant mon parcours de saltimbanque, mes compagnons avaient envie de me voir en action. Et c’est dans ce contexte qu’une autre artiste et moi-même avons monté un mini-spectacle pour inaugurer la yourte de la ferme. »

Injustices et esclavage

Amateur de café, qu’il déguste comme d’autres apprécient les grands crus, Rudy Goddin choisit de dédier sa création à ce breuvage, à ses conditions de fabrication, aux manières de le servir. « L’idée était de dénoncer les injustices et l’esclavage derrière le commerce du café. » Le soir de la représentation, le directeur du Festival Les Montagn’Arts se trouve dans le public. Conquis par le sujet, il propose à Rudy d’intervenir dans le financement de son spectacle, à condition qu’il le présente lors de la prochaine édition du festival, consacrée à la thématique du voyage.

Rudy Goddin

« Voilà comment « Le voyage du Kawa » a été créé. Depuis, il a beaucoup tourné et a connu diverses évolutions (conférence gesticulée, théâtre d’ombre, commedia del arte, marionnettes, etc.), notamment grâce au soutien du Trade for Development Centre d’Enabel (l’Agence belge de développement). Au fil des représentations, il est devenu moins didactique et plus humoristique de manière à toucher davantage les publics scolaires. L’avenir. Les consommateurs de demain ! Le musicien et comédien Frédéric Frouche Dailly est venu me rejoindre sur scène. Cela a aussi apporté une autre dynamique. Aujourd’hui, je ne joue plus ce spectacle, sauf dans le cadre de la semaine du commerce équitable. C’est un format qui s’y prête bien. Le dispositif peut se déployer dans une école où les jeunes ont alors la possibilité d’intervenir. »

Militer en douceur

Depuis lors, Rudy Goddin a développé d’autres projets. « Turista, la démangeaison du Voyageur », un spectacle construit autour du tourisme solidaire, mis en scène par le mime Olivier Taquin, dans lequel le langage non verbal et les ambiances sonores sont prépondérants afin de le rendre accessible au plus grand nombre. Mais aussi « Les Frères Trade », un CD de 6 titres, repris dans un cédéquitable et mis en avant dans un clipéquitable, tourné en partenariat avec une maison de jeunes, grâce au concours du TDC.

« Vu mon parcours et mes voyages, je m’investis prioritairement dans des projets qui ont du sens et qui vont à la rencontre des publics. Le commerce équitable, ce n’est pas une posture, cela fait partie de ma vie. Je mange équitable toute l’année, pas juste une semaine. Pourquoi ? Parce qu’il me parait nécessaire de veiller à la planète et de faire en sorte que tout le monde soit correctement payé, valorisé, éduqué. En Amérique du Sud, j’ai vu les conditions de vie et de travail des ouvriers. Impossible depuis d’en faire abstraction. »

Désormais installé avec sa famille à Liège, Rudy Goddin désire partir au Pérou y ouvrir un centre de tourisme alternatif. Il envisage également d’y donner des cours de théâtre pour enfants. « Le Covid a quelque peu modifié nos plans. Au lieu de partir cette année et de monter du coup un spectacle best of dans le cadre de la semaine du commerce équitable, je me suis orienté vers la création de web capsules, 2min#netfairfilm, diffusées via Youtube et relayées sur les réseaux sociaux, afin de toucher un large public. Le ton se veut décalé et léger, comme dans mes spectacles. Je crois plus aux vertus de la sensibilisation en douceur, en filigrane même, qu’à la propagande frontale. C’est ma façon à moi de militer : dans la douceur, même s’il y a de l’indécence à l’intérieur… »

Allison Lefevre

Découvrez la mini-série 2min#netfairfilm.

Crédits photos : Rudy Goddin